Mon collège Saint-Joseph de Chimay

Journal d’un collégien de campagne

 Farciennes, septembre 1963. Lassé des senteurs soufrées de nos usines, lassé des poussières noires de nos montagnes aux résidus de houille, je partis, la fleur au fusil, m’engloutir dans un monde insoupçonné.

Que de souvenirs bons et moins bons ai-je pu engranger, durant ces années passées au Collège Saint-Joseph à Chimay, pariant sur une salutaire évasion hors du cocon familial. Je fus bien vite surpris par le quotidien façonné d'une discipline non librement consentie, vecteur d’un accablement moral créé par une rigueur spirituelle bien orchestrée !

Chargé d'une appréhension légitime devant l'inconnu, je m'inscrivis en section moderne scientifique après un « écolage » en latin-mathématiques, sous d'autres cieux assombris par les élans infantiles d'un professeur de latin fantaisiste et irresponsable.

Que de souvenirs où le rêve rencontre le cauchemar dans l'attente d'un hypothétique répit.

Les matins froids glaçant nos corps, nos coeurs et nos esprits nous entraînent, bien malgré nous, en petits soldats sur le front d'une guerre non désirée, gageant, dans un ultime espoir, que le jeu sur l'échiquier de la vie cloîtrée nous sera quelque peu salutaire !.

Combattants naïfs d'une lutte perdue d'avance, nous songeons, au fond de nos draps froissés par l'angoisse, aux lendemains qui ne chanteront sans doute plus !

Brisés dans nos rêves les plus intimes et les plus tendrement voire sensuellement évocateurs, nous sortons dès l’aurore de notre inconscient par le tintement vibrant d’une cloche démoniaque qui nous replonge dans un monde tristement étroit, celui de notre alcôve, espace réduit, pour un instant privé, ultime protection contre l'univers morne d'une réalité que par peur, l’on ressent dissimulatrice de traits inconnus.

Il est 6 heures. Le bruissement d'une soutane éveille nos sens endormis. un noir préfet préposé à la discipline vaque à sa mission.

       Cette réalité antinomique de la prêtrise nous glace un peu plus, et achève de dissiper nos espoirs, dilués par trop d’ordres brefs et répétés qui gâchent nos réveils d’adolescent. Un lever brutal du rideau, un regard appuyé, une parole cinglante achèvent de briser la petite parcelle de rêve. Le sourire s'estompe dans la froideur d'un matin ordinaire.

La cruche déverse son eau trouble au travers nos yeux embués, dans le petit bassin où se reflète un visage sans expression, bouffi par un sommeil non réparateur et je tente, en vain, d'y laver des rancoeurs indéfinissables.

Françoise Hardy étale son sourire sur un petit poster accolé discrètement sur le bois de mon alcôve. Elle me retient. Je me résigne à sortir.

Rangs serrés, le regard vide, l’humeur infecte, nous nous étirons vers la chapelle. La messe nous attend bien malgré nous et nous nous traînons, de banc en banc, cherchant en vain un appui moral à nos illusions égarées.

Vaquant à sa cuisine interne, le dos tourné, l’officiant bredouille quelques phrases toutes faites dans une forme latine incompréhensible. Peu nous chaut et nous croassons, la bouche à demi close. Ca défoule !! Assimilés à des corbeaux, « ils » n’apprécient guère … et nous menacent (authentique !) d’une messe supplémentaire, si nous continuons à vouloir friser l’excommunication de fait. Devant une telle menace, nous rétractons nos cris étouffés dans la gorge et nous courbons l’échine en une dévotion subite.

J’ai faim !

Une demi-heure d’étude, le ventre creux, la salle immense, murmures et rires sous cape, les copains se contiennent. Dans la résonance des pupitres qui s’ouvrent et se ferment, glacial, l’œil scrutateur du préfet cherche une victime et s’apaise d’une ruade orale de principe !

    Le réfectoire à l’odeur indescriptible nous « invite » à consommer. Le privilégié du début de table, en tournante hebdomadaire négocie le crouton envié du pain contre une confiture de création maternelle et l’on avale le café réputé tel, sans trop réfléchir tandis que le préfet raide sur son estrade fustige le rebelle. Serait-ce donc à moi que ce discours s’adresse ? Peu me chaut !

La cour de récréation au béton aride nous réunit tous, externes et internes pour une sorte de briefing improvisé et l’on se défoule, un temps soit peu, caressant naïvement le souhait d’une journée sortant de l’ordinaire.

Les cours se succèdent au rythme qu’imprime le dynamisme des professeurs courageux et persuadés de compter sur les résultats mirifiques de leurs disciples du moment.

Certains repas de midi furent marqués dans nos mémoires d’étudiants car quelque peu chahutés, en cause l’initiative malheureuse de notre discret principal. Soucieux de procéder, en bon père de notre famille cloîtrée, à des réductions pécuniaires, notre économe eut recours à une brassée de Sœurs colombiennes, chargées d’alimenter nos corps affamés. Bien mal lui en a pris car la nourriture se révéla peu digeste. Volée de bois vert et de croassements multiples s’en suivirent, réclamant ainsi un minimum de considération à la hauteur des frais engagés par nos géniteurs. Une pétition lourdement argumentée sonna le glas de l’initiative proposée.

De crises de révolte en abattements, la vie au Collège émiettait nos volontés d’indépendance. Tancé par l’autorité, crispé par les interdits, l’on se diversifiait parfois dans des initiatives risquées qui me valurent un séjour de trois jours au pain sec et à l’eau, enfermé dans les soupentes de l’édifice, avec pour tâche une dissertation sur les bienfaits d’une discipline librement consentie.

La première image de l’amitié fut celle d’un jeune homme agenouillé débitant d’une manière uniforme, sur un ton monotone des réponses qu’il ne pouvait pas ou ne voulait pas, simple enfant de cœur, comprendre, enfermé dans sa solitude tel l’anachorète.

Les amitiés vues avec méfiance par nos religieux avaient ce don immense de nous pousser à croire en autre chose qu’en une amertume sans fin.

Elles pouvaient canaliser nos révoltes, apporter le réconfort absent et la lumière d’un avenir plus apaisant, nous distrayant de notre présent en faisant fi d’un passé maussade.

En retenue au collège le week-end et pour quinze jours supplémentaires, je m’épuisais malgré tout sur la réception trop fréquente de ces cartes jaunes reçues, non pour de mauvais résultats scolaires mais pour des faits de discipline et mon ami me reprochait avec tristesse mon inconséquence, écartant par ce fait les joies d’un week-end entre copains et copines !

      Je me souviendrai longtemps de ces week-ends en retour à la maison pour une trop courte durée, nous obligeant ensuite à reprendre notre baluchon le dimanche soir pour réintégrer notre asile forcé perdu dans la campagne chimacienne, nous laissant claquemurés, à notre corps défendant, au fond de notre solitude. De circonvolutions en circonvolutions autour de l’axe Charleroi-Chimay, de villages en villages, dans ces désespérances des nuits humides et froides de l’hiver, le bus qui nous emmenait empestait la friture et j’étais au bord de la nausée. Trainant nos valises depuis la gare, sur le kilomètre qui nous séparait du Collège, nous vivions avec rudesse la transformation de notre esprit et de notre corps et je crois que nous devenions des Hommes !

La transition entre notre courte vie au sein de notre famille retrouvée et notre réinstallation au Collège après le week-end était pour le moins pénible ! Sitôt nos valises déposées, nous nous poussions dans la Chapelle pour psalmodier les prières du soir. Fatigués du transport, les yeux se fermaient et machinalement nous répétions les chants des Complies sans vraiment croire ou comprendre ce que nous déclamions : « Le jour vient de finir, le soir descend , ô Père … ».

Satisfaits de reprendre en mains leurs ouailles, nos maîtres en religion nous escortaient vers nos alcôves où Françoise Hardy m’accueillait dans son sourire de papier.

Et ainsi nous égrainions nos journées, bercés parfois d’insouciance et d’insolence, bizarrement troublés par la tristesse de notre fragile surveillant en soutane qui, les larmes étouffées dans la voix, nous confessait avoir raté un examen lui permettant de reprendre une paroisse en tant que curé nommé.

Et ainsi, au fur et à mesure des mois, des années, des liens se tissaient entre certains professeurs vivant au Collège et nous étudiants, soucieux d’entendre une voix qui nous comprenne. Recueillant les confidences voire les désarrois, ils nous permettaient, dans la chaleur de leur humanité, de nous évader un temps de notre frustration quotidienne en nous redonnant un espoir que nous croyions perdu.

Pour un éphémère plaisir, l’étang de Virelles, ses infrastructures et … sa trappiste nous donnaient parfois l’occasion de nous éclater entre condisciples. Nous étions heureux, même s’il fallait cacher au mieux à nos maîtres attentifs, lors de notre discret retour, les effets euphorisants et explosifs du breuvage local.

    Enfin et à toutes fins utiles, il nous faut reconnaître, nonobstant les difficultés d’adaptation et de vie cloîtrée, la faculté insoupçonnée de nos Maîtres à penser juste, à nous préparer au mieux par le riche enseignement que nous ont procuré nos professeurs, soucieux, malgré les apparences du moment, de préparer leurs jeunes plantes à croître et à affronter la vie, ses joies et ses vicissitudes !

Martial

 

 

 

Commentaires

Le récit de ton passage au collège de Chimay me rappelle le mien quelques années plus tôt au collège de Binche. Il y a beaucoup de similitudes avec ce que tu racontes.Il y avait cette atmosphère pesante d'une surveillance constante 24 heures sur 24 de tous ces prêtres en soutane qui représentaient l'autorité, ces alcôves qui ressemblaient à des cellules, ces messes quotidiennes très matinales, imposées,et en latin, qui lassaient les élèves.
Le temps passé en salle d'étude semblait long, de même que l'hiver, passé dehors pendant le temps libre quelque soit la température.
A cette époque l'élève était au service des professeurs et de la direction. Actuellement l'autorité des collèges est au service des élèves qui disposent d'un logement confortable et bien équipé.
Ce qui est remarquable, c'est que notre mémoire commune reste persistante sur cet épisode de notre vie.
 
Michel